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2018

Antoine Duplan

Christoph Schaub, un humaniste mélancolique

Le cinéaste zurichois est l’invité d’honneur des Journées de Soleure, qui commencent jeudi. L’occasion de redécouvrir une œuvre commencée dans le feu de l’action politique qui s’épanouit en comédies humaines douces-amères et documentaires d’architecture

Une quinquagénaire qui sèche son anniversaire (Giulias Verschwinden-La Disparition de Giulia). Un adolescent alémanique qui va apprendre le français au pair (Jeune Homme). Des bobos lancées à un train d’enfer dans la campagne zurichoise (Nachtlärm-Tapage nocturne). Une nonne sourde-muette qui tombe amoureuse d’un pickpocket (Stille Liebe-Amour Secret)… Le cinéma de Christoph Schaub est doux-amer, porté par un indéniable amour des gens et tamisé par le regret du temps qui passe. Il est comme le chassé-croisé de cœurs solitaires qu’il organise à travers les rues hivernales de Zurich dans Happy New Year. En désignant le cinéaste zurichois comme hôte d’honneur, les Journées de Soleure saluent une œuvre qui se caractérise par un humanisme inquiet relevé d’une pointe d’humour délicat.

Christoph Schaub a toujours aimé fréquenter les salles obscures. Son premier film, il le tourne quand il a 16 ans: pour tromper l’ennui de vacances grisonnes gâchées par la pluie, il réalise un court en super-8 sur deux paysans. Mais c’est dans le contexte de Zuri brännt qu’il apprend le métier. Il a 22 ans en 1980 et Zurich brûle. Il suit les manifestations, caméra au poing, pour réaliser des films d’intervention mus «par l’énergie de la jeunesse et la colère politique». Il faut être rapide et efficace: montage à 16 heures et projection le soir au Centre autonome! Aujourd’hui, nombreux sont ceux qui célèbrent son efficacité sur le plateau. Autodidacte, il s’est fait au feu des manifs: «Changer le monde et la politique dans les rues de Zurich, c’était mon école de cinéma!»

Une ombre de nostalgie

S’il était «très important de marier colère politique et engagement filmique», l’énergie militante disparaît vers 1985. Le cinéaste la compare au carburant qui propulse une fusée en orbite et finit par s’épuiser. Au milieu des années 90, il quitte Dschoint Ventschr, la société qu’il a cofondée avec Samir. Parce qu’il n’a pas envie de se lancer dans la production. Parce que l’énergie, l’amitié, les défis qui font la richesse et l’intensité de la jeunesse s’estompent quand vient la trentaine. Devenir adulte et la mélancolie qu’engendre cette métamorphose irriguent Wendel (1987), les retrouvailles de deux amis perdus de vue, et Dreissig Jahre (1989) qui fait le deuil des anciens rêves.

Christoph Schaub reconnaît qu’il est sans doute prématuré de ressentir à 30 ans la nostalgie de la jeunesse perdue. Le sentiment perdure toutefois dans le parfum de mélancolie flottant sur La Disparition de Giulia. Elle a 50 ans, ses amis l’attendent au restaurant pour un repas d’anniversaire. Elle n’est pas pressée d’honorer ce rendez-vous qui la rapproche de l’inéluctable. Ce chef-d’œuvre délicatement orfévré d’après un scénario du romancier Martin Suter (qui a aussi écrit Nachtlärm) panache l’humour et la mélancolie, la flaccidité du membre viril et les ombres du soir. «Il y a des avantages à vieillir, mais aussi des inconvénients, la bedaine qui vient, les genoux qui grincent… Il faut les traiter sur le mode comique, sinon c’est pénible».

Filmer l’espace

L’humour et l’émotion sont des valeurs que la cinématographie helvétique, par pudeur ou par crainte, rechigne à honorer. Christoph Schaub se distingue de ses collègues: «J’ai toujours détesté le cynisme et le postmodernisme. Il faut être authentique et oser faire des drames sérieux. Par ailleurs, il est beaucoup plus facile de dire des choses difficiles avec de l’humour.» Le cinéma de Christoph Schaub doit beaucoup au producteur Marcel Hoehn, «la personne la plus importante de ma vie professionnelle». Celui-ci l’a pris au sérieux, règle tous les problèmes hors plateau, propose des scénarios. Les deux complices ont fabriqué ensemble huit films.

Christoph Schaub alterne avec aisance fiction et documentaire. «C’est une façon de me régénérer. «Le documentaire est beaucoup plus humain, plus facile. Ce n’est pas une machine. Il faut adopter le rythme des personnages». Depuis Il Girasole – Una casa vicino a Verona (1995), consacré à une maison qui tourne avec le soleil, il s’est spécialisé dans le documentaire d’architecture avec Les Voyages de Santiago Calatrava ou Bird’s Nest – Herzog & De Meuron en Chine. «Comment raconter l’espace, l’architecture? Le film a deux dimensions, l’architecture trois. L’esprit humain ne fonctionne pas comme une caméra… On rejoint des réflexions que la fiction stimule aussi: les émotions que donne un espace sont identiques à celles d’un acteur entrant dans la pièce.»

Cinéma suisse

Cinéphile un jour, cinéphile toujours, Christoph Schaub a particulièrement aimé ces derniers temps The Square, de Ruben Östlund, On Body and Soul, d’Ildikó Enyedi, ainsi que Dene wos guet geit, de Cyril Schäublin, «un film de fin d’études très intelligent, extraordinaire et bizarre» – à découvrir à Soleure.

«L’hôte d’honneur des Journées pense qu’il y a beaucoup de talents en Suisse, de bonnes écoles – mais en même temps trop de réalisateurs, trop d’étudiants, trop de films par rapport la grandeur du pays». «La Suisse romande a un avantage: elle est plus petite et moins riche que la Suisse alémanique, mais elle peut monter des coproductions avec la France; pour des raisons linguistiques, il est plus difficile de travailler avec l’Allemagne.» Généralement optimiste, il redoute que la prolifération des écrans ne porte un coup fatal au cinéma. «J’ai appris à faire des films pour le cinéma. Regarder un film en salle reste une aventure exceptionnelle. Je vis pour ça et je crains que cela ne disparaisse.»

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